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Automne 2013
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LIÈGE
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Il n’y a pas que la loi que cette liberté d’expression
décomplexée vient titiller. Les médias, ayant longtemps
joui du monopole en matière de diffusion, voient
progressivement leur position dominante leur échapper.
Et la transition ne s’opère pas sans heurts. «
Mon
métier a complètement changé depuis cinq ou dix ans.
Le basculement est total
», confesse Alain Gerlache,
journaliste à la RTBF et professeur de webjournalisme
et médias interactifs au sein du département d’arts et
sciences de la communication. «
Chacun est maître
du moment et de la manière dont il va accéder à
l’information
, ajoute-t-il.
Un nouveau type de rapport
avec le public s’est mis en place : je ne suis plus un
vecteur de vérité, je suis au milieu des gens
. »
De là à penser que les journalistes seraient devenus
inutiles… Mais au milieu de cette masse indistincte
et grossissante d’informations, qui d’autre pour les
hiérarchiser, les recouper, les enrichir ? «
Ce que nous
vivons n’est pas une crise de la presse, ni de l’expression
écrite
, assure-t-il.
On n’a jamais autant écrit ! Mais la
presse ne peut plus faire comme si rien ne se passait
. »
Se renouveler pour sortir de la crise. Telle serait
l’inévitable direction à suivre. Problème : les moyens
nanciers nécessaires pour mettre en route ce
changement fondent comme neige au soleil… «
Or,
pour les médias traditionnels, des bases nancières
saines sont l’un des fondements de la liberté
d’expression
»
,
observe Alain Gerlache La bonne santé
nancière est l’une des conditions de l’indépendance
des contenus, développe-t-il. La précarisation du
métier de journaliste entraînerait sa fragilisation au
sein même des médias : plus le temps, justement, de
hiérarchiser, recouper et enrichir adéquatement les
informations ; moins de capacité de résistance face aux
ingérences commerciales et publicitaires ; suppression
d’émissions, de médias jugés insuf samment
rentables ; circonspection beaucoup plus grande par
rapport à certains sujets perçus comme sensibles.
Les polémiques entraînées par certaines caricatures
illustrent cette prudence exacerbée. «
C’est inquiétant,
car il y a une confusion entre racisme et sens critique
par rapport à une religion
», regrette Alain Gerlache.
Big Brother is watching you
Le même expert relève par ailleurs une autre forme de
bridage de la liberté d’expression : l’autocensure. Ou le
risque d’y aboutir «
lorsque les gens en viennent à avoir
l’impression que tout ce qu’ils écrivent sur le net est scruté
et que leurs données sont utilisées à leur insu
». Un
Big
Brother
derrière l’écran ne ressemble plus à un scénario
de ction, comme en témoigne le scandale “Prism”
cité plus haut, voire aussi – plus communément –
l’exploitation commerciale de données privées récoltées
entre autres sur les réseaux sociaux.
Ces excès reposent la question des limites.
«
L’augmentation de la liberté d’expression entraîne
une exposition possible à tous les dérapages
, considère
le journaliste.
Les codes de bonne conduite ont volé
en éclats
». Et de s’interroger : une société peut-
elle survivre sans garde-fous ? Sans acceptation d’un
certain nombre de règles communes permettant le
vivre-ensemble ? «
Je ne vois pas pourquoi, parce qu’on
évolue sur le net, on pourrait se permettre de dire ou de
faire n’importe quoi. Or le meilleur moyen de tuer la
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