17 - page 10

10
l
LIÈGE
U
l
Automne 2013
>
LE
DOSS I ER La l i be r t é d ’ exp ress i on
liberté d’expression, c’est de dire ou de faire n’importe
quoi. Il faut des balises
», af rme-t-il.
Reste à savoir lesquelles. Et comment elles pourront
se mettre en place. «
Elles ne peuvent pas venir
uniquement d’un appareil répressif. Elles doivent
émaner de la société. Il faut tabler sur une espèce de
consensus social, une maturation, une volonté positive
d’autorégulation. C’est un combat de chaque instant,
dont l’équilibre dépend de chacun.
»
Trop plein de liberté
La liberté d’expression se révèle nalement être sa pire
ennemie. Bruno Frère, chercheur quali é du FNRS
en sociologie à l’ULg et à Sciences Po Paris, ne dit
pas autre chose : «
La liberté d’expression est surtout
mise à mal par un “trop plein” de liberté d’expression
rendu possible grâce aux nouvelles technologies de
l’information et de la communication. Les points de vue
critiques disparaissent dans une foule d’informations
insigni antes pour 90% d’entre elles. Bien souvent, les
opinions formulées vont dans le sens des idées dominantes
sur la nécessité de l’austérité, sur le devoir de croissance,
de l’augmentation du temps de travail, etc
. »
Un café du commerce perpétuel qui, selon lui,
menacerait la liberté d’expression dans l’acception qui
fut celle des Lumières, à savoir la formulation d’une
parole critique construite à partir d’une connaissance.
«
Celle-ci n’était pas gratuite. Elle était exigeante. Il
s’agissait d’émettre une opinion qui pouvait nuire
à l’ordre du monde car elle était vectrice d’une
émancipation, élaborée à partir d’une vraie perspective
citoyenne
. » Tout le contraire du tableau qu’il dresse
aujourd’hui : repli communautaire, xénophobie,
renforcement des diverses formes de domination, là
où Spinoza, Rousseau ou plus tard Marx (pour ne citer
qu’eux) se servaient de cette “arme” pour exprimer une
contestation du pouvoir.
«
Le mode contemporain de la parole publique est lu
par le prisme économique. De ce magma qu’est l’opinion
ressortent presque exclusivement des paroles relayant
les points de vue de l’économie classique, c’est-à-dire
capitaliste
. » Bruno Frère prend pour exemple la crise
économique et nancière. Bien que l’on puisse tout
af rmer à son propos, seuls se re éteraient dans les
médias les prolongements du discours majoritaire ambiant
faisant l’apologie de la rigueur : nécessité de travailler plus,
de se serrer la ceinture, de reculer l’âge de la retraite, de se
montrer plus sévère vis-à-vis des chômeurs…
La liberté d’expression serait un «
bijou que l’on
ne doit pas abîmer
». Mais dès lors qu’on la croit
effective et totale, comme bien souvent sur le net ou
sur les antennes des médias dominants elle ne permet
que la profusion de lieux communs idéologiques et
conservateurs.
«
Elle devient un bijou, un toc, une mauvaise
reproduction. C’est la raison pour laquelle je voudrais
refuser une dé nition positive de la liberté. Cette
déclinaison de la liberté que j’entrevois, je la voudrais
sans frontière et sans limite. C’est elle qui s’af rme
lorsque l’on entend dire “nous sommes en démocratie,
1,2,3,4,5,6,7,8,9 11,12,13,14,15,16,17,18,19,20,...36
Powered by FlippingBook