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Au F I L DES PAGES
Ruches sous tension
Quels sont les véritables dangers qui menacent l’abeille ?
Au début du mois de juin, le Parlement
européen a organisé une “Semaine
européenne de l’abeille” et, dans ce
cadre, c’est Gembloux Agro-Bio Tech
qui fut aux commandes d’un sympo-
sium international d’une nature inédite,
complété d’une action de sensibilisation
destinée au grand public. Rencontre
avec Bach Kim Nguyen, spécialiste du
petit hyménoptère, fondateur de Beeodi-
versity, assistant pédagogique à l’unité
d’entomologie fonctionnelle et évolutive
de Gembloux Agro-Bio Tech et cheville
ouvrière de cette double manifestation.
Liège U : Pourquoi parler à nouveau de
l’abeille ?
Bach Kim Nguyen : Parce que, si
l’on veut vraiment rendre service à
l’abeille, il faut impérativement passer
à une action qui fasse f d’une série
de considérations scientifquement
biaisées. Deux exemples. Aux Etats-
Unis, on parle beaucoup du syndrome
d’effondrement des colonies (le Colony
Collapse Disorder) qui voit les ruches
se vider assez brutalement de leurs
occupants et péricliter jusqu’à leur
mort. Or ce syndrome n’intervient qu’à
raison de 4 % dans une mortalité qui,
au total, touche 28 à 30 % des ruches !
Chez nous, particulièrement en Wal-
lonie, le biomonitoring démontre que,
contrairement à ce qu’on lit et entend un
peu partout, ce syndrome de désertion
des ruches ne représente fnalement
qu’un très faible pourcentage des colo-
nies qui meurent. En réalité, pas moins
de 48 symptômes ont été recensés
autour de la mortalité des abeilles…
Liège U : L’abeille se porte mal. Est-ce
vraiment le cas partout dans le monde ?
B.K.N. : Le problème est mondial, cela
ne fait aucun doute. Mais les causes
diffèrent fortement d’une zone à l’autre.
En Belgique, les premières inquiétudes
remontent à 1999, où l’on a commencé
à constater une mortalité anormale-
ment élevée. Depuis 2005, elle a qua-
siment doublé, passant de 17 à 29 %.
Et c’est sans compter les nombreuses
ruches non enregistrées... Dans 90
% des cas, la mortalité est un phéno-
mène hivernal. C’est assez logique :
pendant près de six mois, les abeilles
restent cloîtrées dans un environne-
ment – la ruche – concentrant tous
les problèmes auxquels elles sont
confrontées pendant le reste de l’année.
L’impact des pesticides certes (on en
a retrouvés jusqu’à 18 dans certaines
ruches !), mais aussi les agressions
des parasites, virus et bactéries indé-
sirables, de même qu’une nourriture
présente en trop petites quantités, liées
à des biotopes trop pauvres, constituent
les principales causes de mortalité.
D’une façon générale cependant, chez
nous comme dans la majorité des
régions du monde, les scientifques
pointent en tout premier lieu l’im-
pact du varroa, un acarien qui cause
de gros préjudices à l’abeille. Arrivé
d’Asie par inadvertance, il a commen-
cé à se disséminer en Belgique dès
1984. Certains apiculteurs continuent
de sous-estimer son rôle délétère.
Pour bien situer les choses, comparons-
les : c’est un peu comme si, proportion-
nellement, cinq animaux de la taille d’un
“lapin carnivore” s’appliquaient à vider
un homme de son sang et, de surcroît, à
lui inoculer différents virus ! Les produits
de traitement anti-varroase, créant un
phénomène de résistance chez l’acarien,
ont peu à peu perdu de leur effcacité.
Les apiculteurs, fort démunis, se sont
alors tournés vers d’autres molécules
actives qui, au fl des années, se sont
également révélées inopérantes et/ou
interdites par la législation. Aujourd’hui,
le seul produit autorisé chez nous – le
Thymovar – n’est effcace, au mieux, que
dans 70 % des cas. Mais le problème
fondamental est ici : même effcace, le
produit retenu doit impérativement s’uti-
liser au sein d’une stratégie. L’utiliser en
fn de saison ne sert qu’à protéger le
miel, mais ne rend pas service à l’abeille
à long terme. Pour bien l’employer, il faut
à la fois comprendre l’abeille et son pa-
rasite. Or cette connaissance a tendance
à s’étioler dans un paysage apicole qui
compte 99 % d’amateurs, certes pas-
sionnés mais pas toujours bien informés.
Dans un contexte où le nombre de ruches
a diminué de moitié en quelques années
(de 14 à 7 ruches par apiculteur), la pré-
occupation du rendement peut conduire
à des erreurs ou des excès. De plus,
pour que la stratégie de lutte contre la
varroase et d’autres maladies (la loque
américaine, etc.) puisse aboutir, il faut
jouer sur une certaine forme de solidarité
entre apiculteurs : rien ne sert de brûler
les ruches contaminées (une obligation
légale) si, à quelques centaines de mètres,
subsistent des ruches non-déclarées…
Propos recueillis par Philippe Lamotte
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LIÈGE
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