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LIÈGE
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Printemps 2013
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Au F I L DES PAGES
L’excellence wallonne
La biologie moléculaire, une clef pour vaincre le cancer
A
lain Chariot est licencié en
sciences pharmaceutiques, licen-
cié en biologie clinique et docteur
en sciences biomédicales expérimen-
tales et pharmaceutiques. Maître de
recherche au FNRS et chercheur Welbio,
il travaille actuellement avec une équipe
de dix personnes au sein du Giga.
Ses investigations concernent la biologie
moléculaire et cellulaire, soit la compré-
hension du fonctionnement des orga-
nismes vivants. Son ambition est de dé-
chiffrer les mécanismes biologiques qui
président à l’apparition du cancer, puis
à son développement. Cette recherche
fondamentale est soutenue financiè-
rement depuis deux ans par Welbio
– “Walloon Excellence in Lifesciences
and Biotechnology” – , institut interuni-
versitaire de recherche dans le domaine
des sciences de la vie. Une aubaine
pour Alain Chariot et un défi à relever :
Welbio soutient la recherche fondamen-
tale d’excellence, mais demande que la
valorisation des résultats fasse partie
des questionnements des scientifiques.
Liège U : Connaît-on mieux aujourd’hui
le cancer ?
Alain Chariot : Oui, certainement. Nous
savons aujourd’hui que tous les can-
cers se caractérisent par une proliféra-
tion accrue et/ou une survie prolongée
de cellules modifiées, transformées.
C’est parce que ces cellules prolifèrent
plus vite et/ou vivent plus longtemps
qu’elles vont s’accumuler dans notre
organisme et générer une tumeur. Ce
sont donc bien nos propres cellules qui
ne vont plus fonctionner correctement.
Au niveau moléculaire, il y a deux phé-
nomènes importants qui se conjuguent
dans l’apparition d’une tumeur : d’une
part, des gènes dont la fonction est
de nous protéger (“gènes suppres-
seurs de tumeurs”, parfois appelés
“gardiens du génome”) ne sont plus
fonctionnels, ce qui peut s’observer
suite à une infection par certains virus
ou suite à une exposition trop prolon-
gée au soleil notamment ; d’autre part,
certains gènes, les “proto-oncogènes”,
deviennent trop actifs et contribuent di-
rectement au développement du cancer.
Je tiens à rappeler ici que nous ne
sommes pas égaux devant le cancer.
Nous avons des susceptibilités diffé-
rentes. On sait que les individus blonds
aux yeux bleus sont plus susceptibles de
développer un mélanome que les autres.
Cela ne veut pas dire que tous les blonds
vont souffrir d’un cancer de la peau, mais
les risques sont plus élevés pour eux.
Outre les susceptibilités différentes, des
comportements inadaptés peuvent être
dangereux : fumer et boire de l’alcool
en même temps induit plus de risques
de souffrir d’un cancer de la gorge...
Comprendre tous les mécanismes bio-
logiques qui président à l’apparition
d’un cancer constituera un pas décisif
dans le traitement de la maladie. C’est
notamment en étudiant l’ADN et les
protéines des cellules cancéreuses que
nous y parviendrons. Les scientifiques
ont remarqué en effet que certaines
d’entre elles (les protéines “NF-
k
B” par
exemple) – indispensables pour nous
protéger de l’agression des virus et
autres bactéries – peuvent aussi jouer
un rôle néfaste pour la santé. Si ces
protéines ne sont pas suffisamment
exprimées ou si leur fonctionnement
n’est pas optimal, elles peuvent être
responsables d’immunodéficiences sé-
vères dès la naissance. Si au contraire
ces protéines sont trop actives, si leur
fonctionnement s’emballe, elles peuvent
alors contribuer à l’apparition des can-
cers. Dans les deux cas, c’est la même
famille de protéines qui est en cause.
Liège U : Quel traitement pour demain ?
A.C. : La médecine de demain sera plus
ciblée et plus personnalisée. Les agents
thérapeutiques seront moins toxiques
pour l’organisme. Cibler et classer les
tumeurs deviennent à présent les enjeux
majeurs des laboratoires car cela per-
mettra de produire des médicaments
intelligents, issus des biotechnologies,
capables de détruire les seules cel-
lules cancéreuses. La recherche a par
exemple démontré que la protéine “B-
RAF”, lorsqu’elle est trop active, jouait
un rôle décisif dans le mélanome. Des
patients atteints de ce cancer très
rapidement métastatique ont reçu un
inhibiteur de cette protéine et, dans un
premier temps, le résultat a été stupé-
fiant : leur organisme a véritablement
été “nettoyé” et les tumeurs ont disparu.
Hélas, quelques semaines plus tard, le
cancer s’est adapté et a repris vigueur
parce qu’il a réussi à contourner l’inhi-
bition de cette protéine pour se déve-
lopper à nouveau. Ces thérapies ciblées
conduisent effectivement dans beau-
coup de cas à des résistances. Dès lors,
il faut attaquer le cancer sous plusieurs
angles, à l’image de la trithérapie pour
le traitement du sida. Combiner plu-
sieurs thérapies ciblées constitue une
approche très prometteuse pour l’avenir.
Propos recueillis par Patricia Janssens