Page 31 - Liege U 13

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Automne 2012
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LIÈGE
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Gestion de crise
Retour sur la grippe A(H1N1)
U
n double numéro du Courrier hebdomadaire du Crisp*
dépeint comment, durant l’été 2009, l’Etat belge a
assumé le risque d’épidémie de grippe A(H1N1) en
se procurant un vaccin alors récemment mis au point. Par-
tant d’une étude juridique scrupuleuse du contrat d’achat,
la publication évalue les conséquences politiques et sociales
d’une telle initiative. Derrière la question d’une ingérence
politique dans le secteur médical, beaucoup de points sont
soulevés qui interrogent tout à tour le pouvoir des Etats, les
mécanismes de pression, les groupes pharmaceutiques,
l’OMS ainsi que la relative neutralité des groupes d’expertise.
Peur, urgence et précipitation
Entre le 24 avril et le 12 mai 2009, les cas de grippe A(H1N1)
se multiplient. Au départ, on en dénombre quelques-uns
au Mexique et aux Etats-Unis, mais rapidement les chiffres
s’emballent et plus de 7500 personnes sont touchées dans
34 pays, dont la Belgique. Le bilan s’alourdit tout au long
de l’été et 65 personnes décèdent. Règne alors un véritable
état de crise, car un risque d’épidémie grave est envisagé.
Dans l’urgence, et face à des propos à la fois alarmistes
et lacunaires de l’OMS relayés par voie de presse, la Com-
mission européenne accélère la procédure de mise sur
le marché du Pandemrix, un vaccin dont on ne mesure
pas encore ni l’effcacité ni les effets secondaires. En
outre, la menace de pénurie du vaccin est réelle, et face
à cette incertitude, le risque potentiel d’épidémie semble
avéré. C’est dans ce contexte qui les dépasse que les
gouvernements doivent assumer leurs responsabilités.
A l’instar d’autres pays d’Europe, le gouvernement belge signe
un contrat avec le groupe pharmaceutique GalxoSmithKlein
(GSK). Dans un premier temps, il commande 12 millions de
doses (110 millions d’euros). Finalement, ce sont 8 millions de
dosesqui seront livréespour unmontant de85millionsd’euros.
Le contrat stipule que GSK assume toute la responsabilité
juridique en cas de plainte pour d’éventuels effets secon-
daires graves mais, en dernière instance, l’Etat s’engage à
dédommager GSK des conséquences fnancières de cette
responsabilité, endossant de ce fait une responsabilité poli-
tique. Concrètement, cela signife que, si un citoyen belge
portait plainte et obtenait gain de cause, le gouvernement
aurait dû rembourser à GSK l’ensemble des frais de la pro-
cédure (indemnités, frais d’appel, honoraires…), et ce, sans
aucun plafond fxé. «L’Etat belge a choisi la prévention sani-
taire, observe François Thoreau, aspirant FRS-FNRS à l’ULg
et coauteur de la publication, tout en assumant un risque f-
nancier colossal. Mais dans la mesure où une pandémie était
(presque) annoncée, la note se négocie un peu au bon vouloir
du groupe pharmaceutique. L’Etat a été pris entre deux feux
et a essayé de faire au mieux avec les armes qu’il détenait. »
La signature du contrat paraît précipitée, mais le gouver-
nement belge doit suivre le mouvement. « L’idée de mettre
en œuvre un plan préventif des épidémies avait déjà émer-
gé en 2005, au lendemain de la grippe aviaire. La crise
de 2009 a agi comme un catalyseur : elle a précipité une
réaction déjà bien engagée », poursuit François Thoreau.
La crise sanitaire comme effet catalyseur
Au-delà de l’analyse juridique du contrat, la publica-
tion se penche sur une série d’autres points litigieux,
source de questionnements. Les chercheurs pointent la
faible adhésion populaire : 6% de la population seule-
ment se fait vacciner. Les chercheurs soulèvent égale-
ment le manque de neutralité des experts liés, de près ou
de loin à l’OMS et aux groupes pharmaceutiques. Enfn
ils relèvent le lobbying colossal de ces derniers : 800 000
euros ont été dépensés par GSK sur le territoire européen.
Soutenue par une abondante documentation, l’étude du
Crisp illustre les mécanismes décisionnels des Etats dans
un monde où les catastrophes dépassent bien souvent les
enjeux nationaux et échappent à leur contrôle.
Philippe Lecrenier
Article complet sur le site
www.refexions.ulg.ac.be
(rubrique Société/sciences politiques)
* François Thoreau, Cédric Cheneviere, Nicolas Rossignol, “Action
publique et responsabilité gouvernementale : la gestion de la grippe
A(H1N1) en 2009”, dans Courrier hebdomadaire du Crisp, n° 2138,
2139, 2012.