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LIÈGE
U
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Printemps 2012
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Au F I L DES PAGES
Interroger le passé pour comprendre
E
n l’an 1333, François Pétrarque, un Florentin né en
exil, élevé en Avignon et formé dans les universités de
Montpellier et de Bologne, découvre à Liège une copie
manuscrite d’un texte oublié de Cicéron. Féru de littérature
classique, cet érudit déraciné parcourt alors les bibliothèques
des monastères de France, de Flandre et de Rhénanie à la
recherche des traces de l’Antiquité latine qui ont subsisté à
travers les siècles. Il n’est pas seul à mener l’enquête : ses
correspondants et amis – tel Jean Boccace, auteur du célèbre
Décaméron qui, bien plus tard, inspirera le cinéaste Pier Paolo
Pasolini – écument aussi les bibliothèques, d’où ils lui font par-
venir d’autres textes attentivement retranscrits par leurs soins.
emprise sur un monde dont les frontières ne cessent de recu-
ler, l’Europe acquiert progressivement son visage moderne.
C’est à ces mutations que le centre Transitions consacre ses
recherches. Au moment où les citoyens du Vieux Continent
sont en quête de repères et invoquent leurs racines pour
se prononcer sur le rôle et les modes de fonctionnement de
l’Union européenne, il apparaît plus que jamais nécessaire
de s’interroger sur les multiples facteurs qui, de Pétrarque à
Galilée, de l’Age gothique à l’Age classique, du XIV
e
au XVII
e
siècle, ont donné naissance à l’Europe et fondé son identité.
Aussi le centre Transitions porte-t-il un intérêt tout particu-
lier à la construction des cadres culturels et politiques qui
se forgèrent progressivement à cette époque, et dans les-
quels nous vivons et nous défnissons encore aujourd’hui.
Divisions contre productives
Fondé en 2010, le centre répond à cet objectif en adoptant une
double démarche. En premier lieu, il étudie cette période en
tant que charnière entre le Moyen Age et l’époque moderne,
relativisant ainsi les césures que les historiens y introduisent
conventionnellement, les uns en 1453 (chute de Constanti-
nople), les autres en 1492 (arrivée de Christophe Colomb en
Amérique). En effet, bien qu’elles présentent l’avantage d’une
certaine commodité sur le plan pédagogique, les divisions en
grandes périodes séparées par des frontières étanches sont
évidemment artifcielles et très contestables. Dans le cas pré-
sent, elles engendrent un clivage contre-productif entre les
spécialistes du Moyen Age et les spécialistes des Temps mo-
dernes, empêchant les premiers de porter leur regard en aval,
les seconds en amont, conduisant par conséquent les uns
comme les autres à négliger les enchaînements de faits qui
constituent précisément la charnière entre les deux âges. Le
centre Transitions encourage les recherches qui questionnent,
déplacent voire annihilent la ligne de démarcation convention-
nelle. Il invite médiévistes et modernistes à penser ensemble
cette période et à en comprendre l’évolution sur la longue
durée, en y pistant les glissements, les transformations, en y
traquant les persistances comme les innovations. Fusionnant
deux traditions disciplinaires dans lesquelles l’université de
Liège s’est brillamment illustrée par le passé – à savoir les
études médiévales et l’histoire de la Renaissance, de l’Huma-
nisme et des Réformes –, il entreprend d’aborder les XIV
e
-
XVII
e
siècles en termes de continuité autant que de rupture.
En second lieu, le centre opte pour une approche du passé
résolument interdisciplinaire. Quoi de plus stimulant, de plus
utile et de plus riche pour comprendre cette période de “tran-
sition” que de croiser les éclairages de l’histoire (politique,
sociale, culturelle, religieuse), de la philologie (italienne, néo-
latine, romane et germanique), de la littérature, de la musicolo-
gie, de l’histoire de l’art et de l’architecture, de l’archéométrie,
Transitions, Centre d’études du Moyen Age tardif et de la première Modernité
La “République des Lettres” – cette république sans frontière
ni gouvernement qui rassemble, au-delà des différences na-
tionales, les érudits du temps – est en train de naître. Elle par-
ticipera à la construction d’une culture commune à l’échelle
européenne. De l’Italie à la Pologne, en effet, ces érudits
voyagent, s’écrivent, échangent des manuscrits, commentent
leurs travaux respectifs. Les contacts qu’ils entretiennent fa-
vorisent la diffusion de réfexions nouvelles sur l’homme, la vie
civile, la religion, le savoir, les arts et les lettres, stimulant une
mise en question des valeurs admises et des aspirations au
renouveau. Sur le substrat fécond que constituent des tradi-
tions médiévales toujours très vivantes à l’époque se déposent
ainsi les ferments de métamorphoses culturelles décisives,
qu’ampliferont bientôt textes et images imprimés, produits
d’une véritable révolution médiatique. Au gré de ces transfor-
mations qu’elle subit, des crises et des soubresauts qu’elle
affronte du même coup, et alors même qu’elle étend son
Ecriture humanistique. Document montrant une écriture
créée par les humanistes italiens en réaction à la gothique
médiévale.