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Hiver 2012 - 2013
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LIÈGE
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Joseph Anton
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Au F I L DES PAGES
Quel imaginaire social pour la France gaulienne ?
L’autobiographie de Salman Rushdie
L
orsqu’en septembre 1999 Salman Rushdie est fait doc-
teur honoris causa de l’ULg, cela fait plus de dix ans
qu’il est sous le coup d’une fatwa lancée par l’ayatol-
lah Khomeiny en février 1989 suite à la parution des Versets
sataniques. « J’avais attiré l’attention des autorités acadé-
miques sur le danger qu’il y aurait à l’accueillir uniquement
comme une personnalité “politique”, symbole de la liberté
d’expression, alors qu’il s’attendait certainement à être célé-
bré pour la valeur littéraire de son œuvre, se souvient Marc
Delrez, chargé de cours de littérature moderne de langue
anglaise à l’ULg. Nous sommes allés le chercher à Zaventem,
directement sur le tarmac de l’aéroport, et sommes rentrés
à Liège dans une voiture mise à la disposition de l’Univer-
sité par la Sécurité d’Etat et escortée par des motards. Nous
avons rejoint le château de Colonster en un temps record ! »
Fatwa
Ce sont, en France, l’anthropologue Olivier Roy et le polito-
logue Gilles Kepel qui ont été les premiers dans le monde
occidental à parler de fatwa et le terme a été repris en An-
gleterre puis dans la presse internationale. « En réalité, ce
n’est pas une véritable fatwa, explique Frédéric Bauden,
professeur au département de langue arabe et études isla-
miques à l’ULg. Il s’agit simplement d’une déclaration, certes
extrême, adressée à l’ensemble de la communauté musul-
mane. Le terme a connu un glissement de sens : depuis lors,
on considère qu’une fatwa est d’offce une condamnation à
mort, ce qui est très réducteur. » Par ailleurs, « la déclara-
tion de Khomeiny, plus politique que religieuse, s’inscrivait
dans le contexte géopolitique de la guerre contre l’Irak de
Saddam Hussein [1980-1988] qui l’avait affaibli, com-
plète Radouane Attiya, assistant au même département. La
condamnation des Versets sataniques lui confère ainsi une
célébrité qui transcenda alors les mondes chiite et sunnite. »
Condamnation qui atteint son but: Salman Rushdie est tout de
suite mis sous protection policière, l’obligeant à vivre caché
pendant de nombreuses années. Ce qui ne va pas sans poser
de problèmes lors de ses rares déplacements. Cette longue et
pesante période de sa vie occupe la majeure partie de Joseph
Anton, l’autobiographie – écrite à la troisième personne – qu’il
vient de publier. Son titre, reprenant les prénoms de deux
écrivains qu’il admire, Conrad et Tchékhov, est le nom qu’il
avait choisi dans la clandestinité. Il y raconte la sensation
d’enfermement qui ne le quitte jamais. Doublé d’un profond
sentiment de honte. Au point d’envisager, dans un premier
temps, de ne plus écrire, de devenir un “non-écrivain”.
Il reprend la plume, pourtant, publiant une dizaine de
livres, dont Le Dernier Soupir du Maure, Furie ou Shali-
mar le clown. « Son plus gros problème, pensait-il dans
les moments d’amertume profonde, c’était de ne pas être
mort », écrit-il. Mort, précise-t-il, « son exil loin de l’Inde
ne le ferait plus souffrir. » Mort, il n’aurait pas été contraint
d’affronter l’hostilité constante de son pays d’adoption,
tant celle d’hommes politiques critiquant principalement
le coût de sa protection que celle des journaux qui l’ou-
blient. Il est néanmoins soutenu par de nombreux écrivains
du monde entier et, en 1993, il est choisi pour présider le
Parlement international des écrivains créé à Strasbourg.
Les piliers de l’enfance
Dans les premiers chapitres de Joseph Anton, Salman Rus-
hdie revient sur son enfance et sur sa formation intellec-
tuelle et morale qui repose principalement sur deux piliers.
Son père, d’abord, inventeur de leur nom de famille, qui,
lorsqu’il était petit garçon, lui racontait « les grands contes
merveilleux de l’Orient ». « Un homme sans dieu qui connais-
sait néanmoins l’idée de dieu et y réféchissait beaucoup »,
remarque-t-il. Et qui a instillé chez ses enfants, et notam-
ment chez Salman, « un scepticisme apparemment dénué
de crainte, accompagné d’une liberté presque totale vis-
à-vis de la religion ». Rugby, ensuite, la ville anglaise où il
a fait ses études. Et où, arguant que ses parents venaient
de « mener une guerre de libération contre l’Empire britan-
nique », il refusa de participer avec ses condisciples à « des
jeux guerriers dans la boue en grand uniforme kaki ». Pen-
dant quatre ans, jusqu’en 1968, il va ainsi passer tous ses
mercredis après-midi à lire des romans de science-fction.
En 1981, il publie Les Enfants de minuit, une histoire
de l’Inde couronnée par la Booker Price, à laquelle suc-
cède La Honte, consacré au Pakistan où sa famille
musulmane a fni par déménager lorsqu’il était en An-
gleterre. Et en septembre 1988, paraît Les Versets sata-
niques, roman qui marque le début d’une autre vie.
Michel Paquot
voir le dossier sur le site Culture de l’ULg :
http://culture.ulg.ac.be/rushdie