Dans son étreinte avec la nature, le chercheur
fraie aussi avec l'erreur... La plus condamnable reste l'erreur de jugement.
Nous pourrions donner une définition opératoire
du scientifique comme familier de l'erreur... friand des erreurs d'autrui
pour les dénoncer ouvertement et en tirer gloire, ne craignant, à
l'inverse, rien tant que d'en commettre une qui l'exposerait à son tour à l'opprobre publique. Le chercheur, dans son étreinte avec la nature, fraie quotidiennement avec l'erreur. Erreur de mesure; aléatoire, maîtrisable, puisqu' enserrée dans des limites. Erreur systématique, à l'encontre de laquelle il est si difficile de se prémunir
et dont la sous-estimation vient trop souvent d'un excès
d'optimisme!
Mais l'erreur redoutable entre toutes, est l'erreur
de jugement: rejeter la publication d'un manuscrit novateur dont
on ne percoit pas l'originalité, décréter dénué
de valeur tel laboratoire ou programme de recherche sur lequel on rapporte, pire encore, tenir
dans le cadre de son propre travail, donc dans son domaine d'expertise,
un mirage pour un existant...
Ces réflexions sont suscitées par des
travaux récents sur des molécules montrant des atomes de silicium porteurs
d'une charge positive, ou cations silicium. L'état standard
du silicium combine neutralité électrique et quadrivalence. Peut-on lui retirer
un ligand et le rendre tricoordiné et porteur d'une charge positive?
Peut-on, à l'inverse, lui ajouter un ligand pour le rendre pentacoordiné
et porteur aussi d'une charge positive? Dans l'un et l'autre cas, ce n'est pas chose aisée...
Des auteurs estimables, de divers pays, ont commencé par
s'y tromper, publiant avec légèreté des interprétations
pour le moins sujettes à caution, que leurs collègues se sont charitablement empressés
de réfuter. Le monde est méchant! Mais l'un d'eux, Joseph B.
Lambert, mis sur la sellette de la sorte, s'en est sorti avec élégance,
par le haut: il a fourni le premier exemple, d'un tel cation silicium tricoordiné, dûment authentifié
par la communauté scientifique.
Citons-le en exemple.
Pierre Laszlo
- P. von R. Schleyer, "Germanyl and Silyl Cations:
Free at Last", Science, 1997, 275, 39-40
- V.A. Benin, J. C. Martin, M. R. Willcott, Tetrahedron
Lett., 1994, 35, 2133-2136
- M. Chanhan, C. Chuit, R. J .P. Corriu, C. Reye, Tetrahedron
Lett., 1996, 37,845-848.
Tous droits réservés à La Recherche, 1998.