Les chercheurs suivent en lemmings les vogues successives
Le progrès n'est plus ce qu'il était...
Est-ce sûr? À lire le journal ou écouter
les informations, on est tenté de croire à
un équilibre dynamique progrès/barbarie:
Les choses n'iraient ni mieux ni pire. Un optimiste
nous objectera les progrès de la santé
publique, dans nos pays. Que l'espérance de
vie augmente pour nous chaque année d'un peu
plus d'une année est un phénomène
peu fréquent dans l'histoire de l'humanité
(qui contribue à sa manière au scandaleux
chômage des jeunes et à l'appauvrissement
de pays du Sud). Un pessimiste montrera du doigt le
désordre organisé qu'illustre, par exemple,
la situation préoccupante de notre enseignement
secondaire, laissé en jachère après
autant de réformes que de ministres.
Mais que penser de nos géniaux politiquesenglués
dans un économisme hérité à
la fois du marxisme et du capitalismene jurant que
par la croissance alors que la croissance zéro
est loin d'être un objectif stupide?
Progrès ou barbarie, lorsque l'histoire naturelle
change d'échelle, passant du millier de kilomètres
au millier d'années-lumière, et du millimètre
au nanomètre, tandis que l'homme fait disparaître
chaque année au moins 20 000 espèces
végétales? Progrès ou barbarie,
lorsque la bureaucratisation globale de la science
amplifie démesurément sa tour d'ivoire,
et fait se généraliser une science d'imitation
au détriment d'une science de création?
Progrès ou barbarie, lorsqu'à l'instar
de la globalisation de médias hégémoniques,
les chercheurs suivent en lemmings les vogues successives:
théories du tout, percolation, groupe de renormalisation,
structures dissipatives, catastrophes, fractales, chaos,
et j'en passe?
Empruntons à Julien Green notre conclusion: "Josué,
consterné par la défaite de ses troupes
qui ont fui devant l'ennemi, en appelle à l'Éternel
et se couche sur la terre, la face dans la poussière.
L'Éternel lui parle rudement: 'Pourquoi te couches-tu
sur le visage? Debout!"Je crois que dans des
circonstances difficiles nous avons, nous aussi, une
tendance à nous coucher, si l'on peut dire,
intérieurement dans la poussière et que
si nous écoutions bien, nous entendrions une
voix nous dire "Debout!' ".
Pierre Laszlo
A lire: Antoine Danchin, "L'inutile cri de Cassandre,"
le monde, 27 août 1996, p. 11;
Julien Green, La terre est si belle ...Journal 1976-1978,
Le Seuil, Paris, 1982, p. 76.
Tous droits réservés à La Recherche, 1997.